Extrait d’un article de Georges Romey – De l’Œdipe à l’IVG,
Quel thérapeute pour quelle problématique ?
Posée de cette façon, la question surprendra. Il me faut donc la reposer en termes clairs. Il est admis, depuis longtemps, que le psychanalyste ou le psychothérapeute ne recevra, de la part de son patient, que ce qu’il est en mesure d’entendre. Ce qui supposerait que toute personne qui se propose à la relation d’aide devrait, pour prétendre exercer sa fonction, disposer d’une connaissance universelle de tout ce qui touche à l’humain. Certes, c’est bien dans cette intention que la plupart des instituts de formation exigent de leurs élèves un nombre impressionnant d’heures de « travail sur soi » – Il n’est pas certain pourtant que des milliers d’heures d’exploration de son propre psychisme assurent au praticien la capacité de répondre à tous les aspects des nombreuses configurations psychologiques auxquelles le confrontent ses patients.
Mon expérience de thérapeute me permet de développer un exemple qui démontre que, quelle que soit l’étendue des connaissances d’un praticien dans un domaine donné, un aspect ultra-sensible de ce domaine peut totalement lui échapper. Cela parce que l’inconscient de ses patients « sait » qu’il est inutile de lui adresser des signes dont le sens ne sera pas perçu !
Pourquoi ce titre : « De l’Œdipe à l’IVG » ? Œdipe n’est pas seulement roi dans la mythologie. Chacun sait, depuis Freud, qu’il trône au centre de la psyché. Il n’est pas un psychanalyste, pas un psychothérapeute qui ne sache interpréter le moindre symbole exprimant ce complexe. Il n’est probablement pas non plus un seul patient qui puisse douter que les signaux oedipiens qu’il émet : soleil, lune, lion, biche etc.. seront compris par le thérapeute. De ce fait, il n’est pas une psychanalyse, pas une démarche de psychothérapie d’où les manifestations de l’Œdipe sont absentes. Si l’on se réfère à la proposition qui veut que le thérapeute ne reçoive que ce qu’il est en mesure d’interpréter, il n’y a aucun risque que l’inconscient d’un patient fasse de la rétention concernant les images révélatrices de l’Œdipe !
Il en va tout autrement, par exemple, des images susceptibles de manifester les séquelles laissées par une interruption volontaire de grossesse. Dans mon dernier livre « L’IVG à cœurs ouverts » je dévoile une série de mots et d’images dont j’ai pu constater qu’ils sont en rapport direct avec la blessure intime dont souffre immanquablement toute femme ayant été contrainte de recourir à un acte de cette nature. Peu importe les raisons qui ont entraîné une telle décision, sur laquelle personne d’autre que la mère n’a le droit de porter un jugement. Il reste que, dans tous les cas, l’acte engendre de multiples facettes du malaise psychologique ou psychosomatique : angoisses récurrentes, difficultés relationnelles, surcharge pondérale, douleurs vaginales etc.. Le syndrome post-abortif rassemble un nombre important de symptômes semblables à ceux que l’on observe dans l’état dépressif. Hormis le désir de promouvoir un livre qui peut aider des dizaines de milliers de femmes à se libérer de leur souffrance, pourquoi porter ici l’attention sur ce sujet controversé ? Parce qu’il répond d’une façon exceptionnellement démonstrative à l’interrogation posée : le savoir, le vécu, la personnalité du thérapeute sont-ils de nature à favoriser ou à bloquer les confidences du patient ?
La méthode du rêve éveillé libre, que j’ai initiée et que je pratique depuis trente ans m’a permis de constituer une immense base de données concernant les productions de l’imaginaire. L’ « Encyclopédie de la symbolique des rêves » expose, en mille cinq cent pages, une part des résultats de mes recherches. Je me sentais alors autorisé à penser que ma connaissance du sens des images était aussi complète que possible ! Ce qui va suivre infirme cette prétention.
Mon intérêt concernant les séquelles psychologiques manifestées par les femmes ayant connu la douloureuse expérience de l’IVG remonte à quatre années seulement. Exactement au 10 Octobre 2002. Ce jour-là Denise, une femme de soixante ans me confia, dans une impressionnante crise de sanglots, la souffrance qui la rongeait depuis quarante ans et dont elle n’avait jamais fait part à personne. Il s’agissait d’un avortement bricolé selon les recettes de l’époque, d’une hospitalisation rendue inévitable par une grave hémorragie et de l’opprobre familial et social qu’entraînait alors ce type d’événement. Dans « l’IVG à cœurs ouverts » je m’étonne du fait que, depuis cette date, j’ai décelé les traces laissées par l’IVG dans la cure de dizaines de patientes alors que, pendant plus de vingt ans, je ne les avais pas vues à travers environ six cent cures ! Dans le livre, je formule assez candidement l’hypothèse que « peut-être, si je n’avais rien vu, c’est aussi parce que ces patientes ne m’avais rien donné à voir » ! Le cas de Jocelyne corrobore cette supposition.
Jocelyne, vingt-six ans, se présenta à la consultation après le décès de son père, survenu quelques mois auparavant. La jeune femme, célibataire, avait cru devoir faire appel à l’avortement au cours d’un séjour d’un an dans un territoire d’outre-mer. Elle était revenue en Bretagne pour assister son père en ses dernières semaines de vie. Et c’est ici que les faits nous permettent une étonnante observation. Jocelyne fit, entre la fin de l’année 2000 et le mois de juin 2001, huit séances de rêves. La cure se déroula de façon satisfaisante, à travers des scénarios d’un bonne richesse symbolique mais sans aucun des mots, des signes qui me permettent aujourd’hui d’identifier les traces d’une IVG. Jocelyne décida de faire une pause dans la cure, sans que nous ayons défini un calendrier pour une reprise éventuelle. Cette reprise eut lieu, à sa demande, à la mi-septembre 2002. Deux séances eurent lieu sans qu’apparaissent les images ou symboles qui dénoncent les séquelles de l’IVG. Pour la troisième séance, nous étions convenus de la date du 13 Octobre, soit exactement le lendemain du jour où la douleur de Denise exprimant ses sensations post-abortives m’avait bouleversé ! Bouleversé à un point tel que j’allais entreprendre une recherche approfondie sur les signes qui dirigent l’attention sur cette blessure de l’âme. Ce jour-là, alors que je n’avais évidemment pas encore entrepris la recherche, Jocelyne m’offrit dans son rêve un florilège d’images, de mots, de situations dont je sais aujourd’hui qu’ils expriment toujours la souffrance consécutive à l’interruption d’une grossesse. Me sentant prêt à recevoir ce qui se rapportait à ce problème, l’inconscient de Jocelyne n’hésitait plus à m’envoyer des signes dont je ne comprenais pas encore le sens. Cette incompréhension est manifeste lorsqu’on écoute l’enregistrement de la traduction que je lui fis ce jour-là de son rêve et dans laquelle j’effleure à peine la question de l’IVG ! Ce rêve figure aujourd’hui parmi les plus solides points d’appui des conclusions que je propose dans mon ouvrage l’IVG à coeurs ouverts.