Skip to main content

Les avancées récentes en neurosciences, en épigénétique et en psychothérapie révèlent des ponts subtils mais fondamentaux entre l’héritage des traumatismes, les structures biologiques qui les portent, et les capacités de d’adaptation du cerveau humain.

Des travaux sur la déméthylation du gène FKBP5 chez les descendants de survivants de la Shoah illustrent comment un choc extrême peut modifier l’expression de certains gènes sans altérer leur séquence. Ces marques, dites épigénétiques, peuvent se transmettre de génération en génération et participer à une vulnérabilité accrue au stress et à l’anxiété.

Si l’héritage biologique porte parfois les stigmates du passé, il n’est pas une fatalité. Le cerveau humain, par sa capacité à se réorganiser, détient une formidable ressource de transformation intérieure. Et c’est précisément là que l’imaginaire — en particulier dans ses formes spontanées et symboliques — joue un rôle de premier plan.

L’empreinte des traumatismes sur l’ADN

Depuis une vingtaine d’années, l’épigénétique met en lumière comment les expériences de vie, en particulier les événements traumatiques, peuvent laisser une empreinte biologique durable. Ces marques n’altèrent pas l’ADN lui-même, mais modifient l’expression de certains gènes, affectant la réponse au stress, à la peur ou à la douleur.

La chercheuse Rachel Yehuda (1), pionnière dans ce domaine, a montré que les enfants de survivants de la Shoah présentaient une modification du gène FKBP5, lié à la régulation du stress. Ces changements biologiques pourraient expliquer la rémanence de troubles psychiques chez des personnes n’ayant pas elles-mêmes vécu de traumatisme majeur.

Mais si les blessures du passé peuvent s’écrire dans les gènes, une autre question se pose : le cerveau est-il capable de réagir, de se réorganiser et, en quelque sorte, de “guérir” ?

La plasticité cérébrale : clé de la résilience ?

La réponse nous vient des neurosciences. Le cerveau n’est pas un organe figé. Il dispose d’une capacité essentielle : la plasticité cérébrale. C’est ce mécanisme d’adaptation qui permet au système nerveux de créer de nouvelles connexions, de modifier des circuits existants et parfois, d’atténuer l’impact des chocs émotionnels.

Des études cliniques, comme celle menée dans le cadre du programme Remember après les attentats de 2015 à Paris, ont montré que cette plasticité joue un rôle crucial dans la gestion des souvenirs traumatiques.

« Notre étude permet de montrer que rien n’est inscrit dans le marbre. La résilience humaine aux traumatismes est caractérisée par la plasticité des circuits de contrôle de la mémoire, notamment ceux qui régulent l’activité de l’hippocampe et la résurgence des souvenirs intrusifs (…) On pourrait imaginer de nouvelles thérapies, complémentaires à celles qui sont déjà utilisées, pour venir stimuler les mécanismes de contrôle de la mémoire, et encourager la plasticité. L’avantage de cette approche serait d’agir sur les réseaux cérébraux sans agir sur le système émotionnel et sans faire revivre les émotions traumatiques au patient », précise Pierre Gagnepain. (2)

Le cerveau peut transformer peu à peu la mémoire émotionnelle associée à l’événement. Mais cette transformation ne se produit pas seule. Elle a besoin de conditions propices, d’un environnement ou d’une méthode pour activer ce potentiel de guérison. C’est ici qu’intervient l’état de relaxation, et avec lui, l’émergence d’un langage intérieur puissant : l’image symbolique.

Ondes alpha et surgissement de l’imaginaire

Lorsque le cerveau ralentit son activité pour passer en ondes alpha (entre 8 et 12 Hz), typiques des états méditatifs, il entre dans un mode de fonctionnement particulier : ni totalement éveillé, ni endormi, mais profondément détendu et ouvert.

Dans cet état, les circuits neuronaux figés par les chocs émotionnels peuvent se détendre. De nouvelles connexions deviennent possibles. C’est alors que surgissent les images spontanées : scènes symboliques, figures, récits intérieurs — autant de manifestations visibles d’un travail inconscient de réorganisation. Ces images ne sont ni aléatoires, ni anodines : elles sont le reflet d’un cerveau qui tente de réécrire son histoire.

Le Rêve Éveillé Libre : une voie thérapeutique par l’imaginaire

Le Rêve Éveillé Libre (REL), fondé par Georges Romey dans les années 1980, repose précisément sur cette dynamique. En favorisant un état de relaxation propice aux ondes alpha, cette méthode permet au patient de laisser émerger librement des images et des récits sans intervention directive du thérapeute.

Ce qu’il expliquait alors dans Spasmagazine en 2006 (N°13, Janvier-Février) vient corroborer l’étude menée par les chercheurs de l’Inserm citée plus haut :

La Théorie des Groupes Neuronaux (TGN) (3) postule le fait qu’un réaménagement constant s’opère dans le dispositif neuronal. Chaque cellule d’un réseau informe instantanément toutes les cellules avec lesquelles elle est en connexion de la moindre modification du réseau auquel elle appartient. Ainsi, l’on peut d’affirmer que ce n’est jamais le même cerveau que l’on utilise !

Il s’ensuit aussi que l’état donné d’une maille d’un réseau peut influencer, suivant sa position dans le système, non seulement l’ensemble de ce réseau, mais aussi la totalité du dispositif neuronal.

C’est à l’instant où l’influx nerveux agit sur les neurones concernés qu’il provoque, par excitation de ces derniers, l’apparition des images associées à l’origine du malaise.

De ce point de vue, le symbole n’est pas vraiment l’acteur de la modification neuronale mais plutôt son révélateur ! Les images que reçoit le thérapeute à l’écoute d’un Rêve Eveillé Libre par exemple, ne sont que les témoins, certes précieux, d’un immense travail de réorganisation neuronale concernant parfois des millions de connexions.

Lorsque les images sont exprimées, la modification neuronale est déjà réalisée mais leur nature renseigne sur les aspects de la problématique qui viennent d’être soumis à la modification.

Ce langage imagé agit donc comme un pont entre l’émotion, la mémoire et la biologie. Loin d’être une simple rêverie, ce processus active les zones du cerveau impliquées dans la mémoire, la régulation des émotions, et même la perception sensorielle.

Le REL permet ainsi de revisiter les scènes intérieures figées par le trauma, d’en réorganiser la charge symbolique, et d’insuffler la remise en mouvement cérébrale.

Traumatismes, ADN et guérison par l’imaginaire : une approche intégrative

Là où l’ADN enregistre les blessures, le cerveau, lui, peut transformer leur écho. Et cette transformation passe souvent par un dialogue entre biologie, symboles et relation thérapeutique. En comprenant que le psychisme s’exprime aussi par des circuits biologiques, les thérapeutes peuvent mobiliser des outils comme le Rêve Éveillé Libre pour agir à un niveau plus profond que le langage rationnel.

Cette approche intégrative, qui relie les découvertes de l’épigénétique, la plasticité cérébrale et le pouvoir symbolique de l’imaginaire, ouvre une voie prometteuse : celle d’une guérison transgénérationnelle, où l’héritage ne condamne plus, mais devient matière à transformer.

En définitive, c’est dans l’alliance subtile entre mémoire cellulaire, plasticité neuronale et puissance de l’imaginaire que se dessine une véritable révolution thérapeutique. L’épigénétique nous rappelle que nos gênes gardent la trace des chocs d’hier, la plasticité nous démontre que notre cerveau peut sans cesse se remodeler, et le Rêve Éveillé Libre offre le cadre privilégié pour faire jaillir les images qui réparent les circuits blessés.

À travers chaque vision, chaque symbole, c’est une part de l’héritage invisible qui se libère : là où les méthylations transmettent la douleur, l’imaginaire invite à la résilience ; là où les synapses restaient verrouillées, le rêve ouvre de nouvelles voies.

Cette approche intégrative ne se contente pas de panser des plaies individuelles ; elle propose de rompre le cycle des traumatismes transgénérationnels. En mobilisant la poésie intérieure qui sommeille en chacun de nous, elle transforme l’ombre des souvenirs en un champ de possibles, où chaque image devient levier de renouveau.

Et si guérir, c’était d’abord rêver ?

 

Sources

(1) Holocaust Exposure Induced Intergenerational Effects on FKBP5 Methylation

Yehuda, Rachel et al. Biological Psychiatry, Volume 80, Issue 5, 372 – 380

(2) https://presse.inserm.fr/stress-post-traumatique-la-plasticite-cerebrale-un-mecanisme-cle-de-la-resilience-au-trauma/69820/

(3) la théorie des groupes neuronaux a été établie par Gérald M. Edelman, prix Nobel de médecine avec Rodney Porter en 1972